Qu’est-ce que la comptabilité?
Les définitions données de la comptabilité sont extrêmement nombreuses tout
au long de sa longue histoire. De nos jours encore la controverse continue sur
la nature de cette discipline. On avancera ici quelques éléments de réflexion :
dans un premier temps, on proposera une définition de la comptabilité
permettant de poser quelques jalons sur son identité ; dans un deuxième temps,
on la comparera avec d’autres disciplines auxquelles elle a été longtemps
associée. En conclusion, on essayera de l’identifier en tant que science ou
technique.
Une proposition de
définition de la comptabilité
On définira la comptabilité comme un ensemble de systèmes d’information
subjectifs ayant pour objet la mesure de la valeur des moyens et des résultats
d’une entité. Reprenons ces termes.
Un ensemble de
systèmes d’information
La comptabilité est protéiforme ; elle apparaît sous la forme de divers
systèmes d’information poursuivant des objectifs différents .
Des systèmes
d’information subjectifs
Le qualificatif subjectif ne signifie pas que la comptabilité ne puisse pas
se rapprocher d’une représentation correcte de la réalité ; il signifie que
cette représentation de la réalité est faite pour le compte d’un sujet.
L’histoire de la comptabilité montre que les objectifs et les traits
fondamentaux d’un système d’information d’une époque et d’un pays donné sont
déterminés par l’acteur économique qui détient le pouvoir dans ce pays à cette
époque ; on montrera ainsi que les concepts de coûts et de résultat ont varié
considérablement selon les systèmes économiques ; cette évolution ne signifie
pas que le « coût d’un bien n’existe pas », mais qu’il existe pour un sujet donné et qu’il est en cela
subjectif.
L’existence d’un acteur dominant sur la scène comptable ne signifie pas
que, sauf dans les régimes autocratiques, la totalité du système comptable soit
dessinée par cet acteur ; dans les régimes démocratiques des contre-pouvoirs
s’exercent et leurs représentants obtiennent généralement des concessions et
des informations comptables conformément à leurs souhaits.
Des systèmes ayant pour
objet une mesure de la valeur
Pour déterminer les moyens et les résultats d’une entreprise, la
comptabilité est obligée de sommer des objets différents (machines,
constructions, stocks…, argent). Cette sommation ne peut s’effectuer en
quantité et doit s’exprimer en valeur. Comme le souligne C. Simon (2000), il y
a plusieurs valeurs comptables possibles ; la « juste valeur » chère à l’école
« moderne » américaine et à l’IASB n’est que l’une de ces valeurs et n’est pas
plus « juste » que les autres valeurs : le concept de valeur utilisé en
comptabilité est multiforme ; pour l’essentiel, il dépend des pouvoirs
dominants et des contre-pouvoirs .
Une mesure de la
valeur des moyens et des résultats
Toute action humaine est dirigée vers des buts et s’exprime avec des
moyens. La comptabilité valorise ces moyens et ces buts aussi bien sous une
forme prévisionnelle (comptabilité prévisionnelle) que passée (comptabilité
historique).
Comme les concepts de valeurs, les concepts de moyens et de résultats sont subjectifs et dépendent du jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs.
Comme les concepts de valeurs, les concepts de moyens et de résultats sont subjectifs et dépendent du jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs.
Les moyens et les
résultats d’une entité
Le terme entité est très large : il peut concerner une micro structure
comme une famille (lepaterfamilias romain tenait déjà,
dit-on, sa comptabilité – en partie simple), ou une multinationale gigantesque
; il peut concerner une entité privée ou publique, etc.
Comparaison de la
comptabilité avec d’autres disciplines
La comptabilité a été liée à de nombreuses disciplines :
traditionnellement, à la mathématique, à la statistique, au droit, à l’économie
; plus récemment, à l’histoire, à la sociologie et à la science politique.
Comptabilité et
mathématique
Le fondateur (ou tout au moins l’un des fondateurs) de la comptabilité en
partie double est le mathématicien Paccioli (1494). Malgré cette parenté, la
comptabilité, si elle utilise la mathématique (avec des opérations généralement
simples), n’est évidemment pas une science mathématique : les équations
utilisées par les comptables n’ont pas pour objet de formuler des raisonnements
mathématiques mais, plus prosaïquement, de représenter les moyens et les
résultats des entités étudiées. On notera, d’ailleurs, qu’en matière comptable,
le plus difficile n’est pas d’additionner les valeurs, mais bien de les
concevoir.
Comptabilité et
statistique
La comptabilité valorise alors que la statistique peut se contenter de
quantités ; la comptabilité essaye de saisir l’ensemble des moyens et des résultats d’une entité, la statistique peut se contenter
de présenter certaines données de cet ensemble. Ces deux disciplines bien que «
voisines » sont différentes.
Comptabilité et droit
Dans un livre célèbre, Pierre Garnier (1947) a dit que la comptabilité est
l’algèbre du droit. S’il est vrai que la comptabilité a été très souvent et
reste toujours inspirée par des juristes, on ne peut pas dire qu’elle se
confonde avec le droit :
§
la comptabilité peut exister en dehors
de toute régulation : dans beaucoup de pays, le droit ne s’intéresse qu’à
certaines formes de comptabilités et délaisse les autres. On peut montrer à cet
égard que cette étendue de la réglementation varie selon les systèmes
économiques ;
§
ajoutons que, quand elle existe, cette
réglementation de la comptabilité est multiforme : le droit anglo-saxon de la
comptabilité n’est ni le droit français ni le droit allemand ; à l’intérieur
d’un même pays, il peut y avoir plusieurs droits comptables : droit fiscal
comptable, droit des comptes consolidés, etc.
Bref, disons que le droit peut s’intéresser à la comptabilité (ou plutôt aux comptabilités) mais qu’il ne se confond pas avec elle.
Bref, disons que le droit peut s’intéresser à la comptabilité (ou plutôt aux comptabilités) mais qu’il ne se confond pas avec elle.
Comptabilité et
histoire
L’historien peut évidemment s’intéresser à la comptabilité et on doit
souligner que l’étude de l’histoire de la comptabilité est fondamentale pour
comprendre la nature de cette discipline. Mais l’histoire de la comptabilité
n’est évidemment pas la comptabilité, pas plus que l’histoire des mathématiques
la mathématique.
Comptabilité,
sociologie et politique
Tant que les systèmes comptables ont été « confinés » dans leurs pays
respectifs, les motifs d’une interprétation socio-politique de la comptabilité
ont été rares. On peut dire que l’étude systématique des relations entre les
systèmes économiques et sociaux et la comptabilité (il vaudrait mieux dire les
comptabilités) n’est apparue que dans le troisième tiers du XXe siècle.
Maintenant, c’est une chose courante de dire que les diverses comptabilités
sont en relation avec les gouvernements d’entreprise (pour reprendre une
expression à la mode).
La comptabilité est donc devenue un objet de l’analyse socio-politique ;
mais on peut dire aussi que la comptabilité est un instrument de la politique.
Nous verrons que les concepts de résultat dépendent pour l’essentiel des
acteurs sociaux qui ont le pouvoir à un moment donné dans un pays donné.
Mesurer ce résultat à l’aide d’une comptabilité n’est évidemment pas seulement un acte de
mesure (indispensable au contrôle de l’acteur dominant de son efficacité), mais
aussi le moyen d’imposer aux acteurs dominés son interprétation du monde (Weltanschauung)
: la comptabilité est donc un instrument d’oppression politique d’autant plus
dangereux qu’il paraît naturel ; heureusement, il est vrai, dans les
démocraties, des contre-pouvoirs apparaissent : ils peuvent s’insinuer dans la
pensée comptable dominante et jouer un rôle d’antidote.
Comptabilité et
économie
Le lecteur aura remarqué que nous avons gardé pour la fin l’économie. De
toutes les disciplines, l’économie est sans doute celle qui se rapproche le
plus de la comptabilité :
§
comme la comptabilité, l’économie se
préoccupe de mesurer la valeur et les résultats d’entités ;
§
comme la comptabilité, l’économie doit
tenir compte des divers systèmes sociaux pour adapter ses conclusions à ces
systèmes.
Il est vrai que le comptable est parfois lié par des règles d’évaluation
(fiscales, par exemple) qui n’ont rien à voir, le plus souvent, avec des
évaluations « économiques » ; mais la comptabilité fiscale n’est que l’une des
comptabilités réglementées et les comptabilités réglementées ne sont pas toutes
les comptabilités ; certaines comptabilités, qu’elles soient réglementées ou
non, ont bien pour objectif, comme l’économie, de mesurer des résultats…
économiques (si l’on entend par ces résultats, des résultats qui mesurent les
performances des unités économiques, cette même notion de performance pouvant
faire l’objet d’interprétations très différentes) .
Il est vrai, cependant, qu’on peut soutenir que l’économie fait un travail
de réflexion sur les concepts (de valeur, par exemple) qui est ensuite utilisé
par les comptables : l’économiste réfléchit, le comptable applique. Mais cette
vision, est à notre avis, erronée. Dans son travail quotidien, le comptable est
lui aussi obligé de forger des concepts pour représenter la matière sur
laquelle il travaille : le concept de maintien du capital, par exemple, a fait
l’objet d’une analyse extrêmement précise de la part des comptables dont les
économistes peuvent se servir. On sait, à ce sujet, que les relations entre les
deux disciplines sont constantes .
Il est vrai qu’on pourrait soutenir que l’économiste serait plutôt un
macroéconomiste tandis que le comptable est un microéconomiste ; cette vision
est doublement fausse : l’économiste comme le comptable (qui peut être un
comptable « national ») peuvent s’intéresser aussi bien à la microéconomie qu’à
la macroéconomie.
Il est vrai qu’on entend dire que l’économiste établit des lois d’équilibre
de l’économie tandis que le comptable se contente de mesurer. Là encore, cette
vision est réductrice. Le comptable, principalement celui qui se soucie de la
mesure de l’efficacité (et de la solvabilité) d’une entité, doit réfléchir
(même s’il n’est pas le seul à le faire) à la conception de cette efficacité
avant de mettre en place les moyens de mesure appropriés.
En résumé, une partie de la comptabilité, mais pas toute la comptabilité,
peut s’apparenter à l’économie.
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